mercredi 10 janvier 2018

Les #metoo suspectées de puritanisme : 2018 commence bien...

Toi aussi tu as la gueule de bois ?
Rien à voir avec les effluves d'alcool du dernier réveillon...

C'est juste que : il y a deux mois, le monde entier semblait se réveiller et dans une sorte de frénésie collective, les femmes célébraient leur parole libérée. L'affaire Weinstein semblait avoir été le détonateur, le truc qui avait mis le feu aux poudres et engendré un gros coup de gueule général. A grands renforts de #metoo et de #balancetonporc, les femmes dénonçaient les violences physiques et verbales dont elles étaient les victimes. Elles entendaient mettre un terme au sexisme ambiant et ne plus subir.

Le 1er janvier dernier, 300 femmes issues du monde du cinéma américain, parmi lesquelles Eva Longoria, Natalie Portman, ou encore Alyssa Milano, lançaient Time's up, un fonds destiné à financer le soutien aux femmes et aux hommes victimes de harcèlement sexuel au travail. A la cérémonie des Golden Globes du week-end dernier, les femmes sont venues vêtues de noir, dénonçant à nouveau les violences sexuelles dont elles sont l'objet. Récompensée pour l'ensemble de sa carrière, la présentatrice Oprah Winfrey a prononçait un discours vibrant. Selon elle, parce que les femmes ont pris la parole ces derniers mois, elles ont changé le cours de l'Histoire.



Et puis, coup de bambou cette semaine en France : des femmes publient une tribune dans les colonnes du Monde (voir ici) pour défendre "une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle". Elles s'inquiètent, suite aux évènements de l'automne dernier, de la montée d'une forme de "puritanisme" qui aboutirait à "enchaîner" les femmes "à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l’emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie". Elles dénoncent une situation où les hommes deviennent victimes, "sanctionnés dans l’exercice de leur métier, contraints à la démission, etc., alors qu’ils n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses « intimes » lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque". Selon elles, une femme peut "ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement". Un non-évènement ? On croit rêver. Elles ajoutent : "Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d’elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable". Dingue ! 

Parmi les signataires de cette tribune, on trouve Catherine Millet, Catherine Deneuve, Brigitte Lahaie, Sophie de Menthon... des femmes qui prennent souvent les transports en commun, pour sûr. 

La riposte n'a pas tardé. The Guardian a publié ce matin une réponse de l'écrivaine australienne Van Badham selon laquelle la liberté sexuelle, c'est le droit de choisir ce que vous faites de votre corps sans y être contraint. Le puritanisme n'a rien à voir là-dedans. Aujourd'hui aussi, France TV Info  publie une réponse signée par plus d'une trentaine de militantes féministes, parmi lesquelles la médiatique Caroline De Haas ainsi que des membres de collectifs tels que les Effronté.e.s, les Chiennes de garde, Paye ta Schnek ou Antisexisme. Les signataires démontent les arguments publiés dans le Monde un à un. "Les violences pèsent sur les femmes. Toutes. Elles pèsent sur nos esprits, nos corps, nos plaisirs et nos sexualités", écrivent-elles. "Comment imaginer un seul instant une société libérée, dans laquelle les femmes disposent librement et pleinement de leur corps et de leur sexualité lorsque plus d’une sur deux déclare avoir déjà subi des violences sexuelles?" Et d'ajouter : "Les signataires de la tribune (celle du Monde, ndlr) parlent de l’éducation à donner aux petites filles pour qu’elles ne se laissent pas intimider. Les femmes sont donc désignées comme responsables de ne pas être agressées. Quand est-ce qu’on posera la question de la responsabilité des hommes de ne pas violer ou agresser ? Quid de l’éducation des garçons ?" Elles concluent : "Les porcs et leurs allié.e.s s’inquiètent ? C’est normal. Leur vieux monde est en train de disparaître. Très lentement – trop lentement – mais inexorablement. Quelques réminiscences poussiéreuses n’y changeront rien, même publiées dans Le Monde."

A celles et ceux qui comme moi pensaient qu'avec un peu de chance, l'intelligence collective primerait désormais sur ce sujet des violences faites aux femmes, force est de constater que notre confiance était naïve. Si la dynamique est bien enclenchée, le combat n'est pas gagné et la réalité quotidienne encore compliquée. Que dirait Catherine Deneuve à cette jeune femme qui, il y a quelques jours m'a raconté ceci :

"Je rentrais d'une soirée, seule, à pieds. J'ai croisé un groupe de mecs. J'ai entendu : "Tu es charmante". J'ai esquissé un sourire et dit merci en continuant de marcher. Puis j'ai entendu : "Encore heureux que tu dis merci, sinon..."

Par chance, il n'est rien arrivé à cette jeune femme mais il suffit de parcourir la rubrique actu de votre moteur de recherches préféré pour constater le nombre d'agressions que les femmes subissent quotidiennement. Comment les signataires de la tribune du Monde peuvent-elles parler de "non-évènement" ? Dans quel monde vivent-elles ?

Lire aussi :
- 2017 : l'année où le féminisme s'est réveillé 
  
La dessinatrice Emma vient à l'instant de publier sur son blog une planche sur le sujet. Ca se passe par ici : Un rôle à remplir.   

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